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Fiat lux
15 février 2007

Amen

Ils s’étaient baptisés les Munrungues. Cela signifiait le Peuple, ou les Vrais Hommes.
C’est un titre dont tout le monde se gratifie, au départ. Et puis, un jour, une tribu en rencontre une autre et lui donne un nom : l’Autre Peuple, par exemple, ou, si la journée ne s’est pas bien passée, les Ennemis. Si seulement ils pouvaient avoir l’idée d’inventer un autre nom comme D’Autres Vrais Hommes, ils éviteraient bien des problèmes par la suite.
Non que les Murungues soient en aucune façon primitifs. Forficule répétait toujours qu’ils possédaient un riche héritage culturel autochtone. Des histoires, il voulait dire.
Forficule connaissait toutes les vieilles légendes et un grand nombre de nouvelles, et ils les leur contait, tandis que la tribu entière l’écoutait, captivée, et que les feux de camp croulaient en cendres dans la nuit.
Parfois, il semblait que même les poils imposants qui s’élevaient le long de la Palissade autour du village l’écoutaient. Ils semblaient venir plus près.
La plus vieille histoire était la plus courte. Il ne la racontait pas souvent, mais toute la tribu la connaissait par cœur. C’était une histoire narrée en bien des langues à travers le Tapis.

-Au Commencement, racontait Forficule, n’existait qu’une étendue plate à perte de vue. Alors vint le Tapis, qui couvrit les platitudes. Il était jeune en ce temps-là. Aucune poussière n’encrassait ses poils, qui étaient minces et droits, et non tordus et sales comme ils le sont de nos jours. Et le Tapis était désert.
»Alors vint la poussière, qui plut sur le Tapis, flottant entre les poils, s’enracinant dans les ombres des profondeurs. Il en vint davantage, neigeant avec lenteur, en silence, entre les poils qui attendaient, jusqu’à ce qu’une grande couche de poussière règne sur tout le Tapis.
»De la poussière, le Tapis nous a tous tissés. D’abord vinrent les petites créatures qui élisent domicile dans les combes et dans les hauteurs des poils. Puis vinrent les sorathes, les taraudeurs de trame, les trumpes, les chèvres, les pipe-gromes et les snargues.
»Désormais, la vie et le bruit régnaient de par le Tapis. Et la mort et le silence, aussi. Mais sur le métier de la vie, il manquait un fil à la trame.
»Bien que regorgeant de vie, le Tapis n’en était pas conscient. Il était mais ne pensait point. Il ignorait même sa nature.
»Et c’est ainsi que nous fûmes produits par la poussière, nous, le Peuple du Tapis. Nous avons donné au Tapis son Nom, et nous avons nommé les créatures vivantes, et le motif s’est achevé. Nous étions les premiers à donner un nom au Tapis. Désormais, il était conscient de sa propre existence.
» Le grand Découdre, qui hait tout ce qui vit sur le Tapis, peut bien nous fouler aux pieds, les ombres nous envelopper, une grande vérité demeure : nous sommes l’âme du Tapis, nés de sa sourde envie de tisser.
» Bon, ça reste une simple métaphore, bien entendu, mais personnellement, ça m’épate toujours. Pas vous ?


© Terry Pratchett

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