Gris ?
Le ciel est gris. La pluie vient s’abattre sans
espoir sur le vasistas, conjuguant ses forces à celles de la radio pour me
soutirer des douceurs du sommeil. Comme tous les matins, le grognement que je pousse ne suffit pas à exprimer ma frustration,
loin de là, et je n’arrive pas à me convaincre tout à fait de la non-futilité
de tout cela.
Mon plafond est gris.
Affronter la moindre nourriture est, comme tous
les matins, au-dessus de mes forces et je vais directement m’échouer sous une
douche brûlante, tentant vainement de noyer toute pensée dans ce déluge rituel.
Gestes machinaux, mécaniques : on enfile des affiches de pub pour être
reconnus par nos pairs, on entasse la connerie de nos aînés sur notre dos et on
va se rendormir, bercés par d’obscures formules ou de langues formées de mots
inconnus, le tout gracieusement financé par notre merveilleuse oligarchie. Vive
la nation !
Dehors aussi, c’est gris. Mais c’est plus grand -encore, que…- alors
y’a des nuances. Gris ou gris foncé. Noir pour les gens : c’est moins
salissant et ça évite de se regarder trop souvent, on peut se fondre dans la
masse du décor.
Plus je me rapproche du bloc communément appelé lycée, plus la densité de population augmente et plus je
suis forcé d’admirer la pitoyable ascension de mon espèce dans les abîmes colossaux
de la bêtise. Là : un groupe d’anorexiques roses fluo, discutant avec
hystérie du haut d’hideux instruments de torture lombairiens de la première
chose traversant le néant qui sépare leurs oreilles, histoire de se complaire
dans le bruit et dans la solitude complète, mais à plusieurs. Ici : le
kador des BTS en roule une à une putain allumeuse, taillée xxl, celle-ci. Même
combat que les précédents, mais en silence. On finira par les trois barbares, anars et haïs, huit heure du mat’,
déjà un gramme dans le sang, faisant tourner leur quatrième cône de la journée.
Ceci étant, comme ils ne dorment pas, ça leur laisse du temps… Silencieux et chargés, ils sont finalement
les plus ensembles. Et aussi, sûrement les plus supportables de tous.
Ah, si ! Juste là, devant. Devant loin en
fait. Y’en a une, qui passe, apparemment proche et pourtant si lointaine.
Différente. Et le type qui passe, là, sans me voir lui non plus, différent lui
aussi. Mais inaccessibles tout deux pour moi, presque autant que le sont leurs
propres utopies pour eux-mêmes. Autres façon de concevoir le monde mais, j’en
ai peur, ne vivant en fait pas tout à fait dans le même monde que nous non
plus. Et puis, ils ne font que passer : on a mal et on oublie. Un saint
homme disait qu’on est bien seul chez les hommes. Suis-je un saint homme ?
Va peut-être falloir que je revoie ma définition de saint, alors. Ou de maudit, à défaut.
Une barre d’acier frappe sur une demi-sphere.
La forme circulaire de l’objet permet une meilleure propagation des ondes et
créé un effet de résonance, vive la physique, dont la sonnerie vient d’annoncer
deux heures qui risquent fort de s’avérer extrêmement passionnantes. Pour le
prof. Eternelle attente de la fin du café, dans le couloir gris avec quelques
autres, moroses. A l’angle court un tuyau, qui parcourt tout l’étage. Le gaz.
Comme ce serait simple… Le sadique ayant fini sa dose de caféine arrive avant
que je n’ais le temps de pousser plus loin mes idées. Sans doute pas une
mauvaise chose. Je sens que je ne vais pas tarder à me faire une petite
dépression, une de plus. Mais ce serait oublier que c'est un luxe que je ne
peux plus me permettre, la moitié des psys de la ville m'ayant déjà prescrit
trangsène et chewing-gum à la fraise, les autres étant déjà prêts à me faire
interner "pour mon bien". Bordel, ils me font rigoler. Pour le bien
de ce misérable semblant de but qu'ils ont déniché pour leur vie, oui, et
qu'ils ne supporteraient pas de voir dégommé sous les coups de la vérité crasse
qu'ils ont rejetée. Ce pays vraiment une banlieue merdique !
Le prof a changé,
et nous aussi, de salle, mécaniquement : maintenant il nous baragouine
un peu
d'anglais et mon latinisme latent s'élève contre l'insulte linguistique
qu'est
ce flot au rythme larvaire et aux accents boueux. Je me fais foutre
dehors pour
m'être refusé à participer au massacre ambiant. Je ne me fatigue même
pas à discuter,
je laisse les baccalauréeux à leur studieuse et stupide course à la
mention suicidaire. Je ne suis pas un jedi, ce n'est pas ma
guerre. Au bout d'un moment, le prof
rouvre la porte. Me jette un regard noir : je suis allé me chercher un
café. La
referme. J'attends. Rien de mieux à faire, et puis, ma veste est restée
à
l'intérieur.
Il fait froid dans ce putain
de couloir, et ce café chaud me brûle les doigts.
On est au troisième, tout en
bas il y a un mec qui se bat avec son antivol.
Je regarde dehors : il y a
quelque chose qui ne manque, je voudrais mourir.